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La Sarkolique
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17 mars 2010

Petite discussion de bistrot

Après la journée sans immigrés, la journée sans voiture, la journée sans téléphone mobile,  la journée sans Sarkozy (j’avoue une petite faiblesse pour celle-là),  voici une petite nouvelle, dernière-née d’une longue série de « journées sans… », qui devraient dans les prochaines années connaître un gros succès :  la Journée sans Viande.

Sans l’être moi-même, j’ai  toujours apprécié  les végétariens.  Ils posent sur le monde un regard chargé de compassion et d’émotion  pour nos  frères animaux. De plus, leur  taux d’agressivité est sensiblement inférieur à celui des mangeurs de charognes que nous sommes,  ils sont assez souvent d’un naturel gentil, ce qui est bien reposant dans le monde de brutes dans lequel nous vivons. 

D’ailleurs, me suis-je dit après avoir lu cette info, si notre Vénéré et  Bien-Aimé-Président –Sauveur-de-la-Planète était végétarien, il serait sans aucun doute moins trépignant, moins énervé,  et il arriverait peut-être à atteindre un degré de zénitude qui me le rendrait plus sympathique (quoique…il aurait un gros boulot à faire pour arriver à ce résultat !).

De toute façon, ais-je continué à soliloquer,  le végétarisme est une démarche que je pourrais envisager sans difficulté  si j’y suis un jour poussé par une nécessité philosophique impérieuse. Comme par exemple la diminution drastique de ma retraite, ou bien l’augmentation massive de mon  taux de cholestérol.

Si je vous raconte ça, c’est pour que vous compreniez bien  que mon propos n’est pas d’ironiser sur cette journée ou me moquer de cette initiative : d’ailleurs ce n’est pas du tout mon style.  Sur le moment, j’étais simplement curieux d’en apprendre plus, et du coup je suis allé sur le site des initiateurs de cette journée pour tenter de mieux comprendre   les fondements éthiques ou les aprioris idéologiques qui motivent leur action. 

J’ai trouvé tout ça très intéressant,  mais j’avais besoin quand même d’approfondir ma réflexion. J’ai décidé d’en discuter  avec mon copain Gérard.  C’est un  interlocuteur qui a du répondant et me permet de mettre au clair mes idées quand elles sont un peu confuses, ce qui avec l’âge est de plus en plus fréquent. 

Hélas, pour le coup, ça  n’a pas très bien fonctionné, comme vous allez le constater en lisant la suite.

Comme tous les après-midi, nous nous sommes retrouvés au bistrot, histoire de  sauver  la planète de l’inquiétant déficit en eau potable dont je vous ai parlé récemment  en absorbant quelques doubles whiskys  secs qui ont, en plus de sauver la planète  un autre avantage incontestable :  celui  de rendre les idées plus claires et les analyses plus percutantes.

Notre  bistrot, c’est  le bar de l’Univers, celui qui jouxte le café de l’Europe. (*).  J’ai commencé  à exposer à Gérard les objectifs de la Journée Sans Viande, prévue le 20 mars de chaque année.

- Il s’agit d’informer le public  sur le mode de vie sans viande et sur les raisons qui motivent ce choix éthique pour épargner les animaux, la planète et ses habitants.  Je suis allé sur leur site où ils donnaient plein d’information sur le végétarisme, le végétalisme et le véganisme.  Tu iras voir, tout ça est très intéressant, lui dis-je avec la conviction et l’enthousiasme du néophyte.

Gérard se gratta l’occiput, avala d’un trait son deuxième whisky, se tritura les moustaches, ce qui chez lui  témoigne d’une réflexion en profondeur, puis  se décida à lâcher quelques mots :

-Ils sont trop timorés. Epargner les animaux pour des raisons éthiques, c’est bel  et bon. Mais on ne transige pas avec l’éthique. Si  les animaux ont une sensibilité et même une âme, alors que je n’en ai jamais trouvé chez moi la moindre trace, alors  tes copains ont raison :  ils ne doivent pas être tués  pour servir de nourriture aux humains.

-Heureux de te l’entendre dire. Que les animaux aient une sensibilité, c’est évident, non ? C’est un point qui ne se discute plus, tous les éthologistes le reconnaissent.

-Mais il reste un autre point pas très clair. Une fois qu’aucun  être  humain ne mangera  plus aucune bestiole, comment feras-tu  comprendre aux animaux carnivores  qu’ils ne doivent plus, pour des raisons éthiques, manger leurs semblables ?

-Ben ça, c’est pas trop compliqué. Regarde mes chats, je leur donne des croquettes, et ils adorent ça.  Il suffirait de donner des croquettes à tous les carnivores, et hop, le tour est joué !

-J’ai peine à croire que tes chats  ne bouffent pas une seule souris de temps à autre, histoire de se mettre en bouche…

-Pas les mâles, ils sont comme la majorité des mecs : trop flemmards.  Mais je dois reconnaître que pour  les minettes, c’est vrai ! La nuit elles viennent régulièrement déposer une souris dans la baignoire.

-C’est quoi cette histoire, elles infligent à la souris le supplice de la baignoire ?

-T’es con ! La nuit la baignoire est vide. Mais les petites futées ont remarqué  que c’est impossible  pour la souris de  s’en échapper.  Elles  jouent avec elle un moment, ensuite elles  font un carnage.  Le matin, je retrouve du sang partout dans la baignoire avec parfois un petit morceau d’estomac qu’elles ont dédaigné.

-C’est franchement dégueulasse.  Et tu comptes faire quoi pour qu’elles aient un comportement éthique, tes chattes ?

-J’ai encore jamais réfléchi au problème, mais il doit bien y avoir une solution. Peut-être de  la pédagogie ? Je suis très fort en pédagogie, c’est ma spécialité, et si je passe un peu de temps à leur expliquer…

-Jacques, tu te fous de ma gueule ! Merde,  c’est  ton quatrième whisky , ça devrait pourtant avoir des effets positifs sur tes neurones ! Tu veux me faire croire que tu vas EXPLIQUER à tes chattes qu’elles ne doivent plus bouffer de souris ?

-J’étais sûr que tu ne comprendrais pas. Tu es comme la majorité des gens, tu ignores que les chats sont  aussi sensibles et intelligents que moi et …

-Aussi  intelligents que toi, c'est pas trop dur, mais j’ai  tout de même peine à croire que tu vas  réussir dans cette entreprise éducative.

Il fit un signe au serveur de remettre ça en écartant le pouce et l’index pour montrer la quantité souhaitable.

-Et encore, les chats, c’est facile, tu les as sous la main ! Mais les requins, hein ? Comment tu vas faire pour qu’ils ne se gobergent pas  de leurs semblables ? Tu y as pensé aux requins ?  Ne me dis pas que tu vas faire de la plongée sous-marine pour leur expliquer, aux requins…

-Arrête Gérard, tu te fais du mal là. Pas la peine de t’énerver, on va bien trouver une solution !  Laisse-moi le temps de réfléchir… peut-être qu’on pourrait les modifier génétiquement, on a fait beaucoup de progrès dans ce domaine…

-C’est ça, me dit-il sur un ton légèrement sarcastique en vidant d’un coup  son cinquième verre pendant que, de mon côté,  j’en faisais autant.  Le patron, qui  avait prévu le truc, remplit nos verres illico. C’est ça,  tu vas en faire des requins végétariens.

-J’ai pas dit ça, mais peut-être que génétiquement modifiés  ils pourraient faire comme les baleines, se nourrir de plancton, après tout le plancton, c’est pas des bestioles comme les autres, c’est tout petit…

-J’en étais sûr ! rugit Gérard en se dépliant comme un ressort et en bousculant la table, faisant au passage trembler nos deux verres qui sous le choc de l’émotion perdirent quelques gouttes de leur  précieux nectar,  ça se gargarise d’éthique et ça finit dans la discrimination la plus crasse. Et tu vas le décider comment, les bestioles qui ont droit à l’éthique et celles qui en seront privées ? Tu arrêtes aux mammifères ? Aux vertébrés ?   Aux arthropodes ? Aux insectes ? Aux protozoaires ? Aux…

-STOP !!! j’ai compris, inutile d’en rajouter. Il faudrait que tu te calmes un peu, je crois que tu manges trop de viande, ça te rend agressif.  On va trouver une solution, c’est sûr, il suffit qu’on y réfléchisse tous ensemble.

Il s’essuya les moustaches et s’assit en grommelant quelques paroles inaudibles, que je lui fis répéter.  Je l’ai remarqué  plusieurs fois : chaque fois qu’avec Gérard on va au bistrot  pour aider à sauver la planète du grave déficit en eau potable, au bout d’une heure de discussion j’ai du mal à comprendre ce qu’il me dit.  Ma formation scientifique m’a permis d’aboutir à cette conclusion : discuter rend sourd. Mais pourquoi ? Hélas, ça reste un point noir de la science, un mystère à élucider.

-Je dis que je mange pas trop de viande : seulement  deux fois par jour, comme tout le monde ! hurla-t-il.

-Pas comme tout le monde, moi c‘est deux fois par semaine, et ça me suffit amplement.

-Oui, mais faut voir le résultat, ricana-t-il, tu sembles prêt à être emporté par le moindre souffle d’air ! D’ailleurs, reprit-il en s’échauffant à nouveau, tu n’as pas pensé à une chose : les végétaux aussi ils ont une sensibilité, eux aussi ils peuvent souffrir, je me souviens parfaitement avoir lu dans une revue scientifique, je crois que c’est  le Figaro Madame,  mais je suis plus très sûr, qu’une expérience menée par un certain Backster a prouvé que les plantes sont douées de sensibilité et qu’elles  réagissent aux intentions amicales ou agressives, ce qui impliquerait  l’existence de capacités sensorielles chez les végétaux. Alors, acheva-t-il avec un air satisfait et un rire sonore, qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas aussi arrêter de bouffer des végétaux, pour continuer à être à la fois éthique et étique ?

-Gérard, lui répliquais-je avec à-propos  en avalant cul-sec le huitième  verre,  il y a des fois ou tu es vraiment nul avec tes jeux de mots vaseux.  Puisque tu me sors des références incontrôlables, je peux te dire qu’hier, j’ai découvert sur Internet   un site   qui explique qu’on peut parfaitement se passer de nourriture vulgairement matérielle. Il suffit  pour ça de puiser dans l’énergie cosmique dans laquelle nous baignons complètement et qui nous permet, par un travail patient et l’aide du Maître de Lumière, de  créer l'Arc de l'Alliance, un arc-en-ciel lumineux qui se courbe depuis le sommet de la tête jusqu'au troisième œil et qui sert de décodeur à un langage d'une dimension supérieure.

En bref, si tu n’étais pas un béotien de la pensée, quand on arrive à un stade d’évolution supérieur, on peut se passer de toute nourriture matérielle et se contenter de nourriture spirituelle. Un peu de volonté suffit, et d‘ailleurs, ajoutais-je  pendant que le bistrotier me poussait vers la sortie et que le serveur faisait de même pour Gérard,  je vais m’y mettre de ce pas dès que je serai de retour chez moi. On  en reparlera dans quelques jours, tu pourrais être étonné du résultat. 

J’étais énervé  par sa mauvaise foi, mais content de lui avoir cloué le bec.

Aujourd’hui, ça va mieux, j’ai commencé ce matin les exercices spirituels pour éveiller le corps de lumière et les dix centres d’énergie qui sont en moi, des trucs semblables aux chakras mais beaucoup plus puissants. J’ai aussi arrêté  toute nourriture matérielle, ça fait déjà trois heures que je tiens, c’est assez prometteur.

Du coup, je viens de passer  un coup de téléphone à Gérard pour l’encourager à faire pareil, mais il a ricané en me disant :

-Et le whisky,  tu vas l’arrêter aussi le whisky ? Je te signale que ça aussi c’est fait à partir de végétaux sensibles !

C’est bien ce que je vous disais, même si ce type est bourré de certaines qualités   il est aussi d’une mauvaise foi abyssale :  dans les exercices proposés, il n’est indiqué nulle part qu’il faut arrêter le whisky.

Arrêter le whisky ! Et puis quoi, encore ?

(*) Gérard envisage de créer à côté du bar de l’Univers et du café de l’Europe une  brasserie qu’il veut baptiser Brasserie de la Galaxie,  histoire d’enfoncer la concurrence. Il est à la recherche du financement adéquat et bien entendu je vous informerai quand le projet aura pris corps. Si vous passez dans le coin vous y serez les bienvenus, même si vous n’aimez pas le whisky. 

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Commentaires
P
Ouh là là, quelle belle plume à décoiffer !!! Merci pour ton commentaire chez moi. Je repasserai plus tard, mais ce que je viens de lire me plaît beaucoup, beaucoup. Encore des heures de sommeil en moins en perspective ... Quel bon moment ! Trop bien ! Merci.<br /> Claudine
La Sarkolique
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